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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

les priviléges pécuniaires, le nombre des emplois donnés exclusivement aux nobles, l’inégalité dans l’application des lois, l’étiquette des cours, tout l’héritage des droits de conquête traduits en faveurs arbitraires, ont créé en France, pour ainsi dire, deux nations dans une seule. En conséquence, les nobles émigrés ont voulu traiter la presque totalité du peuple françois comme des vassaux révoltés ; et, loin de rester dans leur pays, soit pour triompher de l’opinion dominante, soit pour s’y réunir, ils ont trouvé plus simple d’invoquer la gendarmerie européenne, afin de mettre Paris à la raison. C’étoit, disoient-ils, pour délivrer la majorité du joug d’une minorité factieuse, qu’on recouroit aux armes des alliés voisins. Une nation qui auroit besoin des étrangers pour s’affranchir d’un joug quelconque, seroit tellement avilie, qu’aucune vertu ne pourroit de long-temps s’y développer : elle rougiroit de ses oppresseurs et de ses libérateurs tout ensemble. Henri IV, il est vrai, admit des corps étrangers dans son armée ; mais il les avoit comme auxiliaires, et ne dépendoit point d’eux. Il opposoit des Anglois et des Allemands protestans aux ligueurs dominés par les catholiques espagnols ; mais