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SUR LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

sont avides, et la découverte de l’imprimerie, loin d’être, comme on l’a dit, la sauvegarde de la liberté, seroit l’arme la plus terrible du despotisme, si les journaux, qui sont la seule lecture des trois quarts de la nation, étoient exclusivement soumis à l’autorité. Car, de même que les troupes réglées sont plus dangereuses que les milices pour l’indépendance des peuples, les écrivains soldés dépravent l’opinion bien plus qu’elle ne pouvoit se dépraver, quand on ne communiquoit que par la parole, et que l’on formoit ainsi son jugement d’après les faits. Mais, lorsque la curiosité pour les nouvelles ne peut se satisfaire qu’en recevant un appoint de mensonges ; lorsque aucun événement n’est raconté sans être accompagné d’un sophisme ; lorsque la réputation de chacun dépend d’une calomnie répandue dans des gazettes qui se multiplient de toutes parts sans qu’on accorde à personne la possibilité de les réfuter ; lorsque les opinions sur chaque circonstance, sur chaque ouvrage, sur chaque individu, sont soumises au mot d’ordre des journalistes, comme les mouvemens des soldats aux chefs de file ; c’est alors que l’art de l’imprimerie devient ce que l’on a dit du canon, la dernière raison des rois .