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CORINNE OU L’ITALIE

qui tout à la fois inspire le respect et l’attendrissement, il ne voyait dans ces lieux que le luxe du maître et le sang des esclaves, et se sentait prévenu contre les beaux arts, qui ne s’inquiètent point du but, et prodiguent leurs dons à quelqu’objet qu’on les destine. Corinne essayait de combattre cette disposition. — Ne portez point, dit-elle à lord Nelvil, la rigueur de vos principes de morale et de justice dans la contemplation des monumens d’Italie ; ils rappellent pour la plupart, je vous l’ai dit, plutôt la splendeur, l’élégance et le goût des formes antiques, que l’époque glorieuse de la vertu romaine. Mais ne trouvez-vous pas quelques traces de la grandeur morale des premiers temps dans le luxe gigantesque des monumens qui leur ont succédé ? La dégradation même de ce peuple romain est imposante encore ; son deuil de la liberté couvre le monde de merveilles, et le génie des beautés idéales cherche à consoler l’homme de la dignité réelle et vraie qu’il a perdue. Voyez ces bains immenses ouverts à tous ceux qui voulaient en goûter les voluptés orientales ; ces cirques destinés aux éléphans qui venaient combattre avec les tigres ; ces aqueducs qui faisaient tout à coup un lac de ces arènes, où des galères luttaient à leur tour ; ces crocodiles qui paraissaient à la