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CORINNE OU L’ITALIE.

sens que je n’ai dans le cœur que des orages et des regrets ; pourquoi vous associerais-je à cette tourmente de sentimens et de craintes ? Pourquoi… — Il n’est plus temps, interrompit Corinne, il n’est plus temps, la douleur est déjà dans mon sein, ménagez-moi. — Vous, de la douleur ? reprit Oswald ; est-ce au milieu d’une carrière si brillante, de tant de succès, avec une imagination si vive ? — Arrêtez, dit Corinne, vous ne me connaissez pas ; de toutes mes facultés la plus puissante c’est la faculté de souffrir. Je suis née pour le bonheur, mon caractère est confiant, mon imagination est animée ; mais la peine excite en moi je ne sais quelle impétuosité qui peut troubler ma raison ou me donner la mort. Je vous le répète encore, ménagez-moi ; la gaieté, la mobilité ne me servent qu’en apparence ; mais il y a dans mon ame des abîmes de tristesse dont je ne pouvais me défendre qu’en, me préservant de l’amour. —

Corinne prononça ces mots avec une expression qui émut vivement Oswald. — Je reviendrai vous voir demain matin, reprit-il, n’en doutez pas, Corinne. — Me le jurez-vous ? dit-elle avec une inquiétude qu’elle s’efforçait en vain de cacher. — Oui, je le jure, s’écria lord Nelvil ; et il disparut.