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CORINNE OU L’ITALIE

même dans la littérature française, dit Corinne en s’adressant au comte d’Erfeuil, vos prosateurs sont souvent plus éloquens, et même plus poétiques que vos poëtes. — Il est vrai, répondit le comte d’Erfeuil, que nous avons en ce genre les véritables autorités classiques ; Bossuet, La Bruyère, Montesquieu, Buffon, ne peuvent être surpassés ; surtout les deux premiers, qui appartiennent à ce siècle de Louis XIV, qu’on ne saurait trop louer, et dont il faut imiter, autant qu’on le peut, les parfaits modèles. C’est un conseil que les étrangers doivent s’empresser de suivre aussi-bien que nous. — J’ai de la peine à croire, répondit Corinne, qu’il fût désirable pour le monde entier de perdre toute couleur nationale, toute originalité de sentimens et d’esprit, et j’oserai vous dire, M. le comte, que, dans votre pays même, cette orthodoxie littéraire, si je puis m’exprimer ainsi, qui s’oppose à toute innovation heureuse, doit rendre à la longue votre littérature très stérile. Le génie est essentiellement créateur, il porte le caractère de l’individu qui le possède. La nature, qui n’a pas voulu que deux feuilles se ressemblassent, a mis encore plus de diversité dans les ames, et l’imitation