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CORINNE OU L’ITALIE

lopperait peut-être encore de nouvelles, si vous permettiez quelquefois que l’on vous montrât sur la scène autre chose que des Français. Mais nous qui sommes Italiens, notre génie dramatique perdrait beaucoup à s’astreindre à des règles dont nous n’aurions pas l’honneur, et dont nous souffririons la contrainte. L’imagination, le caractère, les habitudes d’une nation doivent former son théâtre. Les Italiens aiment passionnément les beaux-arts, la musique, la peinture, et même la pantomime, enfin tout ce qui frappe les sens. Comment se pourrait-il donc que l’austérité d’un dialogue éloquent fût le seul plaisir théâtral dont ils se contentassent ? C’est en vain qu’Alfieri avec tout son génie a voulu les y réduire, il a senti lui-même que son systême était trop rigoureux[1].

La Mérope de Maffei, le Saül d’Alfieri, l’Aristodème de Monti, et surtout le poëme du Dante, bien que cet auteur n’ait point composé de tragédie, me semblent faits pour donner l’idée de ce que pourrait être l’art dramatique en Italie. Il y a dans la Mérope de Maffei une grande simplicité d’action, mais une poésie brillante, revêtue des images les plus heureuses ; et pourquoi s’interdirait-on cette poésie dans les ouvrages dramatiques ? La langue des vers est si magnifique

  1. On vient de publier les œuvres posthumes d’Alfiéri, où se trouvent beaucoup de morceaux très-piquans ; mais on peut conclure, d’un essai dramatique assez bizarre qu’il a fait sur sa tragédie d’Abel, qu’il sentait lui-même que ses pièces étaient trop austères, et qu’il fallait sur la scène accorder davantage aux plaisirs de l’imagination.