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CORINNE OU L’ITALIE

sible et passionné ; il réunissait tout ce qui peut entraîner les autres et soi-même ; mais le malheur et le repentir l’avaient rendu timide envers la destinée : il croyait la désarmer en n’exigeant rien d’elle. Il espérait trouver dans le strict attachement à tous ses devoirs, et dans le renoncement aux jouissances vives, une garantie contre les peines qui déchirent l’âme ; ce qu’il avait éprouvé lui faisait peur, et rien ne lui paraissait valoir dans ce monde la chance de ces peines ; mais quand on est capable de les ressentir, quel est le genre de vie qui peut en mettre à l’abri ?

Lord Nelvil se flattait de quitter l’Écosse sans regret, puisqu’il y restait sans plaisir ; mais ce n’est pas ainsi qu’est faite la funeste imagination des âmes sensibles : il ne se doutait pas des liens qui l’attachaient aux lieux qui lui faisaient le plus de mal, à l’habitation de son père. Il y avait dans cette habitation des chambres, des places dont il ne pouvait approcher sans frémir ; et cependant quand il se résolut à s’en éloigner, il se sentit plus seul encore. Quelque chose d’aride s’empara de son cœur ; il n’était plus le maître de verser des larmes quand il souffrait ; il ne pouvait plus faire renaître ces petites circonstances locales qui l’attendrissaient