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CORINNE OU L’ITALIE.

plaisait, sans jamais se compromettre : car, dans tout ce qui tenait à la sensibilité, elle s’exprimait toujours comme si, dans ce genre, elle voulait dérober aux autres ce qui se passait dans son cœur. Cette manière avait avec celle des femmes de mon pays une ressemblance apparente qui me séduisit ; il me semblait bien que madame d’Arbigny trahissait trop souvent ce qu’elle prétendait vouloir cacher, et que le hasard n’amenait pas tant d’occasions d’attendrissement involontaire qu’il en naissait autour d’elle ; mais cette réflexion traversait légèrement mon esprit, et ce que j’éprouvais habituellement auprès de madame d’Arbigny m’était doux et nouveau.

Je n’avais jamais été flatté par personne. Chez nous l’on ressent avec profondeur et l’amour et l’enthousiasme qu’il inspire ; mais l’art de s’insinuer dans le cœur par l’amour-propre est peu connu. D’ailleurs, je sortais des universités, et jusqu’alors personne, en Angleterre, n’avait fait attention à moi. Madame d’Arbigny relevait chaque mot que je disais ; elle s’occupait de moi avec une attention constante ; je ne crois pas qu’elle connût bien l’ensemble de ce que je puis être ; mais elle me révélait à moi-même par mille observations des détails dont la sagacité me confondait ; il me semblait