Page:De Staël - Corinne ou l'Italie, Tome II, 1807.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
CORINNE OU L’ITALIE.

Maltigues, ces hommes de bien qui vous consolent de vos peines par leur courageuse estime ; il me semble, au contraire, que la plupart des personnes soi-disant vertueuses, si vous êtes heureux, vous excusent, si vous êtes puissans, vous aiment. C’est très-beau sans doute à vous, de ne pas savoir contrarier un père, qui devrait à présent ne plus se mêler de vos affaires ; mais il ne faudrait pas pour cela perdre votre vie ici de toutes les façons ; quant à moi, quoiqu’il m’arrive, je veux à tout prix épargner à mes amis le chagrin de me voir souffrir, et à moi le spectacle du visage alongé de la consolation. — Je croyais, interrompis-je vivement, que le but de la vie d’un honnête homme n’était pas le bonheur, qui ne sert qu’à lui, mais la vertu qui sert aux autres. — La vertu, la vertu.... dit M. de Maltigues, en hésitant un peu, puis se décidant à la fin, c’est un langage pour le vulgaire, que les augures ne peuvent se parler entre eux sans rire. Il y a de bonnes ames que de certains mots, de certains sons harmonieux remuent encore, c’est pour elles que l’on fait jouer l’instrument ; mais toute cette poésie que l’on appelle la conscience, le dévouement, l’enthousiasme, a été inventée pour consoler ceux qui n’ont pas su réussir dans le monde ; c’est comme le de profundis que l’on