Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/108

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grands ciseaux, et une douzaine environ de bons couteaux et de fourchettes ; — puis, dans un autre, la valeur au moins de trente-six livres sterling en espèces d’or et d’argent, soit européennes soit brésiliennes, et entre autres, quelques pièces de huit.

À la vue de cet argent je souris en moi-même, et je m’écriai : — « Ô drogue ! à quoi es-tu bonne ? Tu ne vaux pas pour moi, non, tu ne vaux pas la peine que je me baisse pour te prendre ! Un seul de ces couteaux est plus pour moi que cette somme.[1] Je n’ai nul besoin de toi ; demeure donc où tu es, et va au fond de la mer, comme une créature qui ne mérite pas qu’on la sauve. » — Je me ravisai cependant, je le pris, et, l’ayant enveloppé avec les autres objets dans un morceau de toile, je songeai à faire un nouveau radeau. Sur ces entrefaites, je m’aperçus que le ciel était couvert, et que le vent commençait à fraîchir. Au bout d’un quart d’heure il souffla un bon frais de la côte. Je compris de suite qu’il était inutile d’essayer à faire un radeau avec une brise venant de terre, et que mon affaire était de partir avant qu’il y eût du flot, qu’autrement je pourrais bien ne jamais revoir le rivage. Je me jetai donc à l’eau, et je traversai à la nage le chenal ouvert entre le bâtiment et les sables, mais avec assez de difficulté, à cause des objets pesants que j’avais sur moi, et du clapotage de la mer ; car le vent força si brusquement, que la tempête se déchaîna avant même que la marée fût haute.

Mais j’étais déjà rentré chez moi, dans ma petite tente, et assis en sécurité au milieu de toute ma richesse. Il fit

  1. One of those knives is worth all this heap. — Saint-Hyacinthe a dénaturé ainsi cette phrase : — Un seul de ces couteaux est plus estimable que les trésors de CRÉSUS. P. B.