Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/122

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Mais quel besoin aurais-je eu de m’inquiéter de la lenteur de n’importe quel travail ; je sentais tout le temps que j’avais devant moi, et que cet ouvrage une fois achevé je n’aurais aucune autre occupation, au moins que je pusse prévoir, si ce n’est de rôder dans l’île pour chercher ma nourriture, ce que je faisais plus ou moins chaque jour.

Je commençai dès lors à examiner sérieusement ma position et les circonstances où j’étais réduit. Je dressai, par écrit, un état de mes affaires, non pas tant pour les laisser à ceux qui viendraient après moi, car il n’y avait pas d’apparence que je dusse avoir beaucoup d’héritiers, que pour délivrer mon esprit des pensées qui l’assiégeaient et l’accablaient chaque jour. Comme ma raison commençait alors à me rendre maître de mon abattement, j’essayais à me consoler moi-même du mieux que je pouvais, en balançant mes biens et mes maux, afin que je pusse bien me convaincre que mon sort n’était pas le pire ; et, comme débiteur et créancier, j’établis, ainsi qu’il suit, un compte très fidèle de mes jouissances en regard des misères que je souffrais :

LE MAL.   LE BIEN,
Je suis jeté sur une île horrible et désolée, sans aucun espoir de délivrance.   Mais je suis vivant ; mais je n’ai pas été noyé comme le furent tous mes compagnons de voyage.
Je suis écarté et séparé, en quelque sorte, du monde entier pour être misérable.   Mais j’ai été séparé du reste de l’équipage pour être préservé de la mort ; et Celui qui m’a miraculeusement