Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/227

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rais dû périr tout d’abord ; ou que si je n’avais pas péri j’aurais dû vivre comme un vrai Sauvage ; enfin à me représenter que, si j’avais tué une chèvre ou un oiseau par quelque stratagême, je n’aurais pu le dépecer ou l’ouvrir, l’écorcher, le vider ou le découper ; mais qu’il m’aurait fallu le ronger avec mes dents et le déchirer avec mes griffes, comme une bête.

Ces réflexions me rendaient très sensible à la bonté de la Providence envers moi et très-reconnaissant de ma condition présente, malgré toutes ses misères et toutes ses disgrâces. Je dois aussi recommander ce passage aux réflexions de ceux qui sont sujets à dire dans leur infortune : — « Est-il une affliction semblable à la mienne ? » Qu’ils considèrent combien est pire le sort de tant de gens, et combien le leur aurait pu être pire si la Providence l’avait jugé convenable.

Je faisais encore une autre réflexion qui m’aidait aussi à repaître mon âme d’espérances ; je comparais ma condition présente avec celle que j’avais méritée et que j’avais droit d’attendre de la justice divine. J’avais mené une vie mauvaise, entièrement dépouillée de toute connaissance et de toute crainte de Dieu. J’avais été bien éduqué par mon père et ma mère ; ni l’un ni l’autre n’avaient manqué de m’inspirer de bonne heure un religieux respect de Dieu, le sentiment de mes devoirs et de ce que la nature et ma fin demandaient de moi ; mais, hélas ! tombé bientôt dans la vie de marin, de toutes les vies la plus dénuée de la crainte de Dieu, quoiqu’elle soit souvent face à face avec ses terreurs ; tombé, dis-je, de bonne heure dans la vie et dans la société de marins, tout le peu de religion que j’avais conservé avait été étouffé par les dérisions de mes camarades, par un endurcissement et un mépris des dan-