Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/258

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vage. Je restai aux aguets jusqu’au soir, et lorsque le reflux arriva, du haut des rochers je revis le courant comme la première fois, mais il se tenait à une demi-lieue de la pointe ; tandis qu’en ma mésaventure il s’était tellement approché du bord qu’il m’avait entraîné avec lui, ce qu’en ce moment il n’aurait pu faire.

Je conclus de cette observation qu’en remarquant le temps du flot et du jusant de la marée, il me serait très-aisé de ramener mon embarcation. Mais quand je voulus entamer ce dessein, mon esprit fut pris de terreur au souvenir du péril que j’avais essuyé, et je ne pus me décider à l’entreprendre. Bien au contraire, je pris la résolution, plus sûre mais plus laborieuse, de me construire ou plutôt de me creuser une autre pirogue, et d’en avoir ainsi une pour chaque côté de l’île.

Vous n’ignorez pas que j’avais alors, si je puis m’exprimer ainsi, deux plantations dans l’île : l’une était ma petite forteresse ou ma tente, entourée de sa muraille au pied du rocher, avec son arrière grotte, que j’avais en ce temps-là agrandie de plusieurs chambres donnant l’une dans l’autre. Dans l’une d’elles, celle qui était la moins humide et la plus grande, et qui avait une porte en dehors de mon retranchement, c’est-à-dire un peu au-delà de l’endroit où il rejoignait le rocher, je tenais les grands pots de terre dont j’ai parlé avec détail, et quatorze ou quinze grandes corbeilles de la contenance de cinq ou six boisseaux, où je conservais mes provisions, surtout mon blé, soit égrainé soit en épis séparés de la paille.

Pour ce qui est de mon enceinte, les longs pieux ou palis dont elle avait été faite autrefois avaient crû comme des arbres et étaient devenus si gros et si touffus qu’il eût