Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/353

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c’est ainsi qu’il appelait faire des prières ; — puisque lorsqu’ils revenaient ils leur rapportaient ce que Benamuckée avait dit. Je remarquai par là qu’il y a des fraudes pieuses même parmi les plus aveugles et les plus ignorants idolâtres du monde, et que la politique de faire une religion secrète, afin de conserver au clergé la vénération du peuple, ne se trouve pas seulement dans le catholicisme, mais peut-être dans toutes les religions de la terre, voire même celles des Sauvages les plus brutes et les plus barbares.

Je fis mes efforts pour rendre sensible à mon serviteur Vendredi la supercherie de ces vieillards, en lui disant que leur prétention d’aller sur les montagnes pour dire Ô ! à leur dieu Benamuckée était une imposture, que les paroles qu’ils lui attribuaient l’étaient bien plus encore, et que s’ils recevaient là quelques réponses et parlaient réellement avec quelqu’un, ce devait être avec un mauvais esprit. Alors j’entrai en un long discours touchant le diable, son origine, sa rébellion contre Dieu, sa haine pour les hommes, la raison de cette haine, son penchant à se faire adorer dans les parties obscures du monde au lieu de Dieu et comme Dieu, et la foule de stratagèmes dont il use pour entraîner le genre humain à sa ruine, enfin l’accès secret qu’il se ménage auprès de nos passions et de nos affections pour adapter ses piéges si bien à nos inclinations, qu’il nous rend nos propres tentateurs, et nous fait courir à notre perte par notre propre choix.

Je trouvai qu’il n’était pas aussi facile d’imprimer dans son esprit de justes notions sur le diable qu’il l’avait été de lui en donner sur l’existence d’un Dieu. La nature appuyait touts mes arguments pour lui démontrer même la nécessité d’une grande cause première, d’un suprême pouvoir dominateur, d’une secrète Providence directrice, et