Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/385

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combien de fois. Quand il y entrait il s’asseyait auprès de son père, il se découvrait la poitrine, et, pour le ranimer, il lui tenait la tête appuyée contre son sein des demi-heures entières ; puis il prenait ses bras, ses jambes, engourdis et roidis par les liens, les réchauffait et les frottait avec ses mains, et moi, ayant vu cela, je lui donnai du rum de ma bouteille pour faire des frictions, qui eurent un excellent effet.

Cet événement nous empêcha de poursuivre le canot des Sauvages, qui était déjà à peu près hors de vue ; mais ce fut heureux pour nous : car au bout de deux heures avant qu’ils eussent pu faire le quart de leur chemin, il se leva un vent impétueux, qui continua de souffler si violemment toute la nuit et de souffler Nord-Ouest, ce qui leur était contraire, que je ne pus supposer que leur embarcation eût résisté et qu’ils eussent regagné leur côte.

Mais, pour revenir à Vendredi, il était tellement occupé de son père, que de quelque temps je n’eus pas le cœur de l’arracher de là. Cependant lorsque je pensai qu’il pouvait le quitter un instant, je l’appelai vers moi, et il vint sautant et riant, et dans une joie extrême. Je lui demandai s’il avait donné du pain à son père. Il secoua la tête, et répondit : — « Non : moi, vilain chien, manger tout moi-même. » — Je lui donnai donc un gâteau de pain, que je tirai d’une petite poche que je portais à cet effet. Je lui donnai aussi une goutte de rum pour lui-même ; mais il ne voulut pas y goûter et l’offrit à son père. J’avais encore dans ma pochette deux ou trois grappes de mes raisins, je lui en donnai de même une poignée pour son père. À peine la lui eût-il portée que je le vis sortir de la pirogue et s’enfuir comme s’il eût été épouvanté. Il courait avec une telle vélocité, — car c’était le garçon le plus agile de ses