Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/102

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plus ingouvernables, les plus turbulents qu’on eût su rencontrer, au grand chagrin et au grand désappointement des pauvres Espagnols, ayez-en l’assurance.

La seule chose juste que firent ces coquins, ce fut de donner ma lettre aux Espagnols quand ils arrivèrent, et de leur offrir des provisions et des secours, comme je le leur avais recommandé. Ils leur remirent aussi de longues instructions écrites que je leur avais laissées, et qui contenaient les méthodes particulières dont j’avais fait usage dans le gouvernement de ma vie en ces lieux : la manière de faire cuire mon pain, d’élever mes chèvres apprivoisées et de semer mon blé ; comment je séchais mes raisins, je faisais mes pois et en un mot tout ce que je fabriquais. Tout cela, couché par écrit, fut remis par les trois vauriens aux Espagnols, dont deux comprenaient assez bien l’anglais. Ils ne refusèrent pas, qui plus est, de s’accommoder avec eux pour toute autre chose, car ils s’accordèrent très-bien pendant quelque temps. Ils partagèrent également avec eux la maison ou la grotte, et commencèrent par vivre fort sociablement. Le principal Espagnol, qui m’avait assisté dans beaucoup de mes opérations, administrait toutes les affaires avec l’aide du père de Vendredi. Quant aux Anglais, ils ne faisaient que rôder çà et là dans l’île, tuer des perroquets, attraper des tortues ; et quand le soir ils revenaient à la maison, les Espagnols pourvoyaient à leur souper.

Les Espagnols s’en seraient arrangés si les autres les avaient seulement laissés en repos ; mais leur cœur ne pouvait leur permettre de le faire long-temps ; et, comme le chien dans la crèche, ils ne voulaient ni manger ni souffrir que les autres mangeassent. Leurs différends toutefois furent d’abord peu de chose et ne valent pas la