Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/35

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moins une douzaine d’entre eux étaient à la besogne, on ne peut pas dire en train de le manger, mais plutôt de ronger les os, car ils avaient dévoré toute la chair auparavant.

Nous ne jugeâmes point à propos de troubler leur festin, et ils ne prirent pas garde à nous. Vendredi aurait bien voulu tirer sur eux, mais je m’y opposai formellement, prévoyant que nous aurions sur les bras plus d’affaires semblables que nous ne nous y attendions. — Nous n’avions pas encore traversé la moitié de la plaine, quand, dans les bois, à notre gauche, nous commençâmes à entendre les loups hurler d’une manière effroyable, et aussitôt après nous en vîmes environ une centaine venir droit à nous, touts en corps, et la plupart d’entre eux en ligne, aussi régulièrement qu’une armée rangée par des officiers expérimentés. Je savais à peine que faire pour les recevoir. Il me sembla toutefois que le seul moyen était de nous serrer touts de front, ce que nous exécutâmes sur-le-champ. Mais, pour qu’entre les décharges nous n’eussions point trop d’intervalle, je résolus que seulement de deux hommes l’un ferait feu, et que les autres, qui n’auraient pas tiré, se tiendraient prêts à leur faire essuyer immédiatement une seconde fusillade s’ils continuaient d’avancer sur nous ; puis que ceux qui auraient lâché leur coup d’abord ne s’amuseraient pas à recharger leur fusil, mais s’armeraient chacun d’un pistolet, car nous étions touts munis d’un fusil et d’une paire de pistolets. Ainsi nous pouvions par cette tactique faire six salves, la moitié de nous tirant à la fois. Néanmoins, pour le moment, il n’y eut pas nécessité : à la première décharge les ennemis firent halte, épouvantés, stupéfiés du bruit autant que du feu. Quatre d’entre eux, frappés à la tête, tombèrent morts ; plusieurs autres furent blessés et se retirèrent