Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/457

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— « Oui, me répliqua-t-il, si vous me considérez comme un seigneur ou un prince, comme dans le fait je le suis ; mais veuillez ne voir en moi simplement qu’un homme, une créature humaine, que rien ne distingue d’avec la foule, et il vous sera évident que je ne puis sentir aucun besoin, à moins que je ne sois visité par quelque maladie ou quelque infirmité. Pour mettre toutefois la question hors de doute, voyez notre manière de vivre : nous sommes en cette ville cinq grands personnages ; nous vivons tout-à-fait retirés, comme il convient à des gens en exil. Nous avons sauvé quelque chose du naufrage de notre fortune, qui nous met au-dessus de la nécessité de chasser pour notre subsistance ; mais les pauvres soldats qui sont ici, et qui n’ont point nos ressources vivent dans une aussi grande abondance que nous. Ils vont dans les bois chasser les zibelines et les renards : le travail d’un mois fournit à leur entretien pendant un an. Comme notre genre de vie n’est pas coûteux, il nous est aisé de nous procurer ce qu’il nous faut : donc votre objection est détruite. »

La place me manque pour rapporter tout au long la conversation on ne peut plus agréable que j’eus avec cet homme véritablement grand, et dans laquelle son esprit laissa paraître une si haute connaissance des choses, soutenue tout à la fois et par la religion et par une profonde sagesse, qu’il est hors de doute que son mépris pour le monde ne fût aussi grand qu’il l’exprimait. Et jusqu’à la fin il se montra toujours le même comme on le verra par ce qui suit.

Je passai huit mois à Tobolsk. Que l’hiver me parut sombre et terrible ! Le froid était si intense que je ne pouvais pas seulement regarder dehors sans être enveloppé dans des pelleteries, et sans avoir sur le visage un masque de fourrure ou