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ter aux orages. En avançant ils découvrent des citernes profondes environnées de fleur, de sources abondâmes, et qui réunissent leurs eaux limpides pour retomber en cascades. Nulle part ces animaux nuisibles, mais des phoques indolents qui se traînent sur le rivage, et d’innombrable troupeaux de chèvres qui errent dans les vallées. Ces sources abondantes, ces lions marins, les troupeaux sauvages, voilà ce qui durant un demi-siècle amènera tour à tour à Juan-Fernandez ces pirates que l’Espagne voulait détruire, et ces navires armés en guerre qui rodent dans la mer du Sud pour arrêter les gallons. Qu’on lise en effet Scharp, Dampier, Cowley, Woode-Rogers, C’est Juan-Fernandes qu’ils nous vantent, Juan-Fernandez où ils ont été se ravitailler avant de poursuivre leurs courses aventureuses.

Mais ces marins ne prolongeaient leur relâche, toujours momentanée, que de quelques semaines. Ce qu’il y a de curieux sans doute pour l’histoire de Robinson, et ce qui n’a peut-être pas été remarqué, c’est qu’après l’abandon de Mas-a-Tierra par la petite colonie qu’y avait fondée le premier explorateur, cette île devint successivement l’asile d’un ou deux Indiens civilisés et de quelques marins qui y vécurent durant plusieurs années complétement abandonnés à eux-mêmes.

Consultons les anciens voyageurs, voyons en quelques mots, et dans l’ordre chronologique, quelle est l’histoire de ces aventuriers solitaires.

Avant 1680, il est fait mention par Ringrose d’un navire qui périt sur les brisants de cette île ; un seul homme échappe au naufrage, et il vit cinq ans dans la solitude jusqu’à ce qu’un autre navire le reprenne.

Le second habitant de Mas-a-Tierra est un Indien mosquito, que le capitaine Sharp y laisse en 1680, lorsqu’il vient relâcher dans cette île, à laquelle il lui plaît d’imposer le nom de la reine Catherine. Cet homme y vit seul, et il est dans l’île de Juan-Fernandez sans doute de son plein gré, car le capitaine Cowley nous apprend qu’à l’approche de ses navires, il tua deux chèvres et les tint prêtes pour servir aux équipages.

C’est le même individu qui s’est plu dans cette solitude, sans doute ; mais il y a erreur de date dans le journal de Dampier, Ce marin parle d’un Mosquito qu’il retrouva en 1684 dans l’île, et qui avait été déposé en 1681, lorsqu’il était à bord du capitaine Watting ; il entre dans les détails les plus curieux sur la vie solitaire de cet homme et sur son admirable Industrie.

Voilà ce que dit son tour Wafer, et son récit date de 1687. « Trois ou quatre de nos compagnons de fortune, chagrins d’avoir perdu tout ce qu’ils avaient au jeu, et de sortir de ces mers aussi pauvres qu’ils y étaient venus, se décidèrent à rester sur l’île de Juan-Fernandez ; nous leur donnâmes un petit canot, une marmite, des haches, de grands couteaux, du maïs, et les provisions dont ils avaient le plus de besoin. J’ai appris dans la suite qu’ils avaient planté de ce mais, apprivoisé quelques chèvres et vécu de poisson et d’oiseaux. »

Ces trois désespérés eurent le temps de faire de sérieuses réflexions sur le jeu et sur ses hasards : ils vécurent un ou deux ans dans la solitude qu’ils s’étaient choisie.

Enfin plus tard Alexandre Selkirk lui-même, le prototype de Robinson, parle de deux hommes qui avaient été laissés à Juan-Fernandez dans une relâche qu’il y fit, et qui y vécurent durant six mois.

Tous les détails de ces existences solitaires n’étaient pas complètement perdus à l’époque où Daniel de Foë vivait ; l’homme qu’il dut consulter avant touts les autres voyageurs, les avait peut-être lui-même recueillis. Notre auteur enfin les tenait peut-être directement de Dampier, de Sharp et de Woode-Rogers. Il en serait alors du Robinson comme de ces épopées dues primitivement aux rapsodes ; le poète leur a donné leur forme durable, mais elles se composent de mille traits épars.

Venons au personnage plus connu que l’on est accoutumé à voir figurer dans cette histoire, examinons le type réel de Robinson.

Le 1er  février 1709, comme le capitaine Woode-Rogers croisait sur les côtes du Chili, de conserve avec ce navire qui devait naviguer plus tard vers la Californie, sous le commandement de Dampier, les vents du Sud-Ouest le portèrent vers Juan-Fernandez, et il résolut d’y débarquer ; vers le soir des feux s’élevèrent sur le rivage. Nos flibustiers crurent à la