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DISSERTATION RELIGIEUSE.


obinson Crusoé a toujours été pour moi un livre de prédilection ; je l’ai lu avec délice dans mon extrême jeunesse, quoique la traduction de St.-Hyacinthe soit dépourvue d’élégance ; je viens de le relire avec le même plaisir dans la maturité de l’âge, plus exactement et plus élégamment traduit. C’est qu’on y remarque une si profonde connaissance du cœur humain, une peinture si naturelle des événements de la vie, que touts les âges s’y reconnaissent, que toutes les positions peuvent y puiser des leçons ; c’est qu’il s’en exhale un parfum de religion si suave et si doux, qu’il doit paraître agréable à toutes les âmes sensibles et pénétrées de respect pour la révélation.

Cependant, par cela même que Robinson est écrit d’un bout à l’autre dans des sentiments religieux, il importe de relever, pour l’utilité des lecteurs, ce qu’il présente de conforme aux principes fondamentaux du Christianisme. Comme d’un autre côté il est arrivé à Daniel de Foë, zélé protestant, de manifester parfois les préjugés de sa communion contre l’Église catholique, il n’importe pas moins de signaler ses erreurs ; voilà ce qui nous a déterminé à composer une Dissertation religieuse, dans laquelle se trouveraient tout à la fois et la proclamation des véritables croyances, et la courte rectification des méprises qui ont pu lui échapper. Loin de nous la pensée d’entreprendre une polémique contre des Chrétiens d’une communion étrangère, dans un livre de pur agrément : nous choisirions trop mal le lieu. Tout ce que nous nous proposons de faire, c’est de recueillir les nobles inspirations dont il abonde, et de les proposer à l’imitation des jeunes gens, comme aussi de marquer quelques endroits qui sentent l’esprit de secte et d’en dire modestement notre avis.

Il est donc vrai que si la prospérité entraîne la plupart des hommes dans l’oubli de la religion, l’adversité les y ramène ; il n’est pas permis d’en douter, la parole de Dieu est expresse. Couvre leur face de confusion, et les peuples rendront hommage à ton nom, ô Jéhova. Telle est la prière du roi-prophète (psaume 82, verset 17), si souvent accompagné de l’effet, comme nous l’apprenons des livres bibliques et de l’histoire.

C’est la tribulation qui a porté Robinson à réfléchir dans son île sur la perversité de ses mœurs jusqu’à son dernier naufrage, et à revenir à Dieu. Quelle admirable relation il nous fait lui-même de son repentir ! Quelle vive peinture de ses terreurs et ses angoisses, dans le songe salutaire que lui envoie la Providence ! Quel regret d’avoir perdu toute connaissance de Dieu ; d’avoir effacé, par huit années consécutives d’une jeunesse licencieuse, les bonnes instructions de son père ! Il faut lire cet intéressant récit, depuis la page 134 du tome Ier, jusqu’à la page 149. Qu’on nous permette cependant de rapporter ici le dénoûment : « Maintenant, les paroles de mon cher pète sont accomplies, la justice de Dieu m’a atteint, et je n’ai personne pour me secourir ou m’entendre ; j’ai méconnu la voix de la Providence, qui m’avait généreusement placé dans un état et dans un rang où j’aurais pu vivre dans l’aisance et dans le bonheur ; mais je n’ai point voulu concevoir cela, ni apprendre de mes parents à connaître les biens attachés à cette condition ; je les ai délaissés pleurant sur ma folie, et maintenant, abandonné je pleure sur les conséquences de cette folie ; j’ai refusé leur