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culte protestant, en sorte que l’auditoire, sans rien perdre de son calme, laissa apercevoir qu’il se préparait à redoubler d’attention lorsque le pasteur fut près de monter en chaire. Diodati était alors en effet celui qui avait le plus d’autorité ; et outre la foule des assistants venus pour l’entendre, on distinguait dans cet auditoire les Turretin, les Budé, les Pictet, les Saussure, les Lullin, les Prevost, les de Candole, et d’autres familles dont les noms sont restés ou devenus célèbres dans la théologie et dans les sciences de toute espèce.

Au moment que le pasteur Diodati parut dans la chaire, tous les regards, dirigés d’abord sur lui, se baissèrent bientôt après, et lui-même, inclinant son front, se recueillit quelque temps avant de réciter les prières et de lire l’évangile du jour. Enfin, cette partie du service étant terminée, il commença par énoncer le passage qui devait servir de texte à son sermon. « Mes frères, dit-il, le repos, la gloire et la prospérité des familles, celle même des états, dépend principalement de l’obéissance et de la modestie que montrent les femmes. Mulieri docere non permitto, neque dominari in virum, sed esse in silentio : Je ne permets pas aux femmes d’enseigner, ni de prendre autorité sur leurs maris ; mais je leur ordonne de demeurer dans le silence, dit saint Paul à Timothée, épître Ire, chapitre ii, verset 12. »

Lorsque ces paroles eurent été prononcées, on vit succéder au mouvement de curiosité qu’avait fait naître le choix du sujet un silence plus profond encore, s’il est possible, que celui qui régnait précédemment. L’abbé Segni lui-même, retiré dans son embrasure, s’apprêta à porter une oreille attentive à un sermon dont le texte lui parut étrange, et qui lui fit éprouver aussitôt une assez vive inquiétude.

C’est une question demeurée entièrement mystérieuse que de savoir si, lorsque le secrétaire du nonce en France passa par Genève, le choix du sujet de sermon que débita le pasteur Diodati fut l’effet d’un pur hasard, ou bien improvisé pour faire pièce à ce personnage. Quant à l’abbé Segni, ce dilemme se présenta tout aussitôt à son esprit, et en rapprochant sa visite à la boutique du libraire, où il avait pu être deviné et même reconnu, de la complaisance excessive qu’a-