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nées : « Je ne suis donc qu’un enfant, se disait-il, et mademoiselle Justine de Liron va se marier ! » Malgré tous les efforts d’imagination qu’il fit pour combiner autrement ces deux circonstances et en tirer une conséquence nouvelle, il fut toujours ramené à cette triste conclusion, qu’il était trop jeune pour mademoiselle de Liron ou qu’elle était trop âgée pour lui. Ce fut en laissant osciller sa pensée dans ce faible intervalle que notre jeune homme, parvenu hors de la propriété et suivant les rues sinueuses de Chamaillères, se trouva machinalement transporté dans les bois au milieu des rochers de la vallée de Villar. La chaleur était forte ; il se jeta sur l’herbe, le long du lit d’un ruisseau à sec.

On peut se figurer les agitations à la fois douces et pénibles de notre Ernest, âgé de dix-neuf ans, amoureux fou d’une femme son aînée, qui est à cent pas de lui, qui lui a donné son mouchoir, qui lui a fait la morale pour l’exhorter à la prudence, et qui va se marier avec un autre que lui. Si l’on ajoute à tout cela que ce pauvre enfant est au milieu d’un bois bien ténébreux, auprès de roches sauvages, et harassé par la chaleur, on comprendra aussitôt dans quel état étaient la tête et le cœur d’Ernest.

Cependant mademoiselle de Liron, après avoir recomposé ses traits et passablement rétabli le calme sur sa figure, était rentrée dans la maison afin de s’assurer des soins que l’on avait mis aux apprêts nécessaires pour la réception de M. de Thiézac. C’est, comme on l’a déjà dit, le nom du futur. Après avoir été jeter un coup d’œil sur les appartements qui lui étaient destinés, et avoir été dire quelques mots de tendresse à son vieux père, mademoiselle Justine de Liron s’avança dans l’office, où deux filles étaient occupées à faire des pâtisseries et des friandises destinées à la collation que l’on se proposait d’offrir à M. de Thiézac.

En province, la vie intellectuelle est moins active qu’à Paris, les journées y paraissent plus longues, les travaux domestiques ont plus d’importance et ne manquent même pas d’une certaine majesté ; aussi les femmes qui l’habitent trouvent-elles parfois le moyen de donner de l’éclat aux oc-