Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/403

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qui aiment battre ceux qui sont à terre ; n’y tombez pas, mon cher monsieur, et faites réflexion, je vous en prie, quel personnage vous jouerez ici dans les rues avec vos six estafiers. Vous ne deviez pas venir à Rome si vous n’aviez pas la résolution et le pouvoir de soutenir votre dignité. » Le cardinal de Retz fut si étonné de ce conseil, que malgré la vivacité de son esprit il resta muet. « Non, non, continua Chigi, qui s’était aperçu de sa surprise, on ne doit pas employer l’humilité chrétienne à la perdre ; et je vous dirai que le pauvre cardinal Chigi, qui vous parle, qui n’a que cinq mille écus de rentes et est sur le pied des plus pauvres cardinaux moines, ne peut se rendre aux offices de l’église sans quatre carrosses de livrée. »

Cette conversation fut tout à coup interrompue par le duc de Terra-Nova, qui, s’approchant du cardinal Chigi, lui dit : « J’ai à vous annoncer une bonne nouvelle, éminence. Le prélat Fabroni, qui arrive, nous dit que l’on entrera vraisemblablement après-demain en conclave. — Oui, ajouta le jeune Fabroni ; je quitte le maître des cérémonies qui venait du Vatican, où tous les préparatifs pour recevoir leurs éminences et leurs conclavistes sont presque terminés. — Dieu soit loué ! » dit l’ambassadeur en frappant doucement sur le bras du cardinal de Retz, qu’il entraîna pour l’entretenir en particulier. « Or çà, dit-il au prélat français, décidément sommes-nous amis ou ennemis ? — Franchement, monsieur le duc, ni l’un ni l’autre. — Comment ! un homme comme vous rester neutre ? Cela n’est ni croyable ni possible. — C’est la vérité, car je suis certain de ne pas agir contre vos intentions ; mais il serait possible que je ne fisse pas tout ce que vous désirez. — Mais enfin que voulez-vous ? — Conserver mon indépendance. — Ah ! je reconnais bien là un Français ! — En effet, monseigneur, nous aimons assez faire à notre tête. — Enfin qu’avez-vous concerté de votre côté ? — Rien de plus simple et de plus loyal que le parti que nous avons pris. L’Espagne peut compter dans le sacré collège sur vingt-deux cardinaux, parmi lesquels il en est de fort influents ; tels sont le doyen Charles de Médicis, Jean-Charles du même nom, Colonna, Trivulci, Harack, de Hesse et