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de force qu’à l’ordinaire ; je te connais, je sais que tu m’aimes, que tu m’es sincèrement attaché, et que tu appréhendes de me voir demeurer seul. Mais cela ne te regarde pas ; que mes deux enfants soient heureux, entends-tu, Ernest ?... Que mes deux enfants soient heureux ! et je fais mon affaire du reste. Mais entrons, ajouta-t-il en riant de la joie qu’il ressentait ; il ne faut pas laisser les amants seuls ; tu dois savoir cela, toi ? » Ils entrèrent bientôt au salon, d’où les quatre convives passèrent à la salle à manger.

La collation était élégamment servie ; on mangea peu. Ernest et sa cousine ne parlèrent que pour ne pas blesser les bienséances. M. de Liron, tout joyeux, soutint sans s’en apercevoir le poids d’une conversation à laquelle M. de Thiézac ne prit part qu’avec une prudence et un certain tact, qui sauvèrent à deux des convives une partie de la gêne où leur position réciproque les mettait.

Lorsque ce repas eut eu toute la durée qu’il pouvait avoir, c’est-à-dire quand M. de Liron, après avoir satisfait le besoin d’exprimer sa joie, pensa que M. de Thiézac avait sans doute besoin de prendre du repos, on quitta la table. Le vieillard, donnant le peu de validité de ses jambes pour excuse, pria son hôte d’accepter les soins de son neveu, chargé de l’installer dans son appartement, et l’on se sépara.

Dès que le jeune Ernest pensa que sa cousine était rentrée chez elle, et quand il se vit chargé de confiner M. de Thiézac à quelque distance de la maison, dans un corps de logis séparé, dont il habitait lui-même une partie, il se sentit plus à l’aise.

Il y a des occasions où la journée qui passe est si importante pour nous, où la prévoyance devient si fougueuse et l’inquiétude si active, qu’une précaution prise pour six heures semble devenir le garant du repos de toute notre vie. À peine Ernest eut-il introduit M. de Thiézac dans l’appartement situé au-dessus du sien, que le sourire vint sur ses lèvres, et qu’il redoubla de prévenances envers un homme que, dans le fond de sa pensée, il regardait alors comme son prisonnier.

— Mon cher monsieur Ernest, dit M. de Thiézac en lui