Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/413

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timents plus raisonnables, à plus de bienveillance envers votre famille. — Ah ! cardinal, que dites-vous là ? Si vous les connaissiez ? — C’est au moins un devoir que d’en montrer les apparences. Des scènes semblables à celle qui vient d’avoir lieu pourraient vous nuire à tous si elles étaient sues. Les conjonctures où nous nous trouvons, madame, sont graves, et jamais peut-être nous n’avons eu autant besoin de recueillir notre courage et surtout de conserver notre présence d’esprit. On vient de vous tenir un langage dont la forme a pu justement vous blesser, mais qui renfermait une vérité que moi-même je me proposais de vous faire connaître en venant ici. — Laquelle ? — La nécessité de vous résigner à tout ce qui pourra résulter du conclave, afin d’être préparée, ainsi que nous, à tirer le meilleur parti du plus mauvais cas possible. — Comment ? — Oui, princesse, je vous engage à suivre l’exemple que mon frère et moi nous vous donnons, en considérant Fabio Chigi comme élu. — Que dites-vous ? Fabio Chigi ! Non, non, Antoine, je ne puis me faire à cette idée ! Prenez mes trésors, vendez s’il le faut tous mes biens, pour qu’on s’oppose à son élection, si l’on ne peut y parvenir, qu’on m’arrache la vie plutôt que de le voir couronner ! — J’ai vraiment peine à vous reconnaître, madame, dit le cardinal avec douceur, et vous avez raison d’assurer que vous avez perdu tout empire sur vous-même. Remettez-vous, et réfléchissez que nous n’avons pas de temps à perdre en paroles vaines ; faites-y bien attention, c’est après-demain qu’ouvre le conclave. »

Cet avertissement produisit un effet presque magique sur dona Olimpia. Cette femme s’était fait une telle habitude de contenir et de dissimuler ses passions, que, quand elle s’y livrait par hasard, c’était avec la mutinerie et toute l’irréflexion d’un enfant ; mais un mot la faisait rentrer en elle-même, et lui rendait l’exercice de sa volonté.

Fait à son naturel, Antoine parvint à la calmer. Il lui exposa d’une manière claire et précise les chances des deux concurrents au trône, la puissance relative des factions des différents pays qui soutenaient l’un ou l’autre ; sans lui dissimuler les espérances que pouvait concevoir Sachetti, qui