Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/490

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Edmond de Lébis en était là, quand madame de Soulanges rentra dans le cabinet.

— Je vous ai fait rassurer sur l’état de ma fille, dit-elle, mais à présent vous pouvez être parfaitement tranquille. Ce n’est rien ; et ce qui m’a pris le plus de temps, a été de calmer la petite Joséphine, qui ne pouvait se consoler d’avoir fait si maladroitement usage de sa raquette. Maintenant je suis toute à vous... Ah ! vous regardiez son portrait ? Il est extrêmement ressemblant, n’est-ce pas ? En disant ces mots, la comtesse prit le cadre à sa main, et alla se rasseoir sur le fauteuil qu’elle avait déjà occupé. Cette ressemblance, continua-t-elle lorsque M. de Lébis eut aussi repris sa place, a quelque chose de particulier qui me frappe singulièrement. Elle m’a fait reconnaître dans les traits et l’expression de ma fille, une personne sensée et plus mûre de caractère qu’elle ne l’est effectivement. Edmond attira le portrait de son côté pour vérifier l’observation de madame de Soulanges, et après quelques instants de silence, il dit : — Votre remarque, madame, en réveille d’autres que j’ai faites quand j’étais bien jeune encore. L’intelligence des enfants ainsi que leur caractère sont ordinairement beaucoup plus développés que ne le croient leurs parents. Le respect, une certaine crainte filiale, empêchent presque toujours les enfants de hasarder ce dont ils ne sont pas sûrs devant leurs parents ; tandis qu’ils ont la passion de dire ce qu’ils savent, et même ce qu’ils ne savent pas, aux étrangers dont ils redoutent infiniment moins les remontrances. Dans ce dernier cas, l’intelligence s’aventure sous les auspices de la vanité, et dans l’autre, au contraire, elle se trouve paralysée par la contrainte.

— Et vous en concluez ?

— Que cette retenue habituelle trompe parfois les parents sur ce qu’il peut y avoir de puéril encore dans les discours et les actions des enfants.

— Vous croyez ? dit madame de Soulanges sans détourner les yeux de dessus le portrait.

— C’est ainsi que je m’explique l’imprudence, l’aveuglement même de certaines personnes qui, trompées par le sommeil apparent et quelquefois feint des enfants, traitent