Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/494

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sai d’autant plus de questions, jusqu’à lui faire celle que j’avais répétée tant de fois dans la nuit précédente. Il voulut répondre, mais les paroles ne lui vinrent pas, et il demeura enfin embarrassé et muet. Quant à moi, je sentis à l’instant une sueur froide qui découlait de mon front. J’éprouvai une de ces terreurs d’autant plus profondes que rien de ce que l’on sait ou de ce que l’on a vu ne peut vous faire deviner de quelle nature doit être le mal que l’on redoute. Je pressai de nouveau l’ecclésiastique de me répondre ; j’allai môme jusqu’à faire sentir par ma parole que je ne pourrais supporter aucun retard à ce qu’exigeait de lui mon impatience.

» Oh ! non, monsieur de Lébis, je n’oublierai jamais l’altération qui se manifesta en ce moment non-seulement sur les traits, mais dans toute la personne de ce brave et digne homme. Son agitation fut longtemps convulsive, et il ne put reprendre l’usage de son esprit et de la parole que quand les larmes qu’il versa eurent soulagé son corps et son âme. Je ne me souviens pas d’avoir vu dans ma vie une expression plus belle que celle de cet ecclésiastique, au moment où, devenu plus calme et essuyant ses yeux, il regarda le ciel en joignant les mains. Certes, mes inquiétudes étaient loin d’être calmées ; toutefois elles cessèrent de ce moment d’avoir ce caractère louche qui me les avait rendues jusque-là si pénibles. Enfin, le curé commença à me parler. Il me fit l’éloge de l’intelligence de ma fille, et m’assura que tout ce qui pouvait être compris dans la religion, elle le comprenait. Il ajouta qu’il était impossible d’être plus docile, plus obéissante qu’elle, et que, malgré sa jeunesse, elle remplissait avec une ponctualité rigoureuse tous les devoirs de la religion, sans manquer de se soumettre aux petites punitions passagères que les peccadilles qu’elle commettait parfois lui attiraient. Enfin, l’éloge était si complet, la satisfaction du curé paraissait si entière, que je ne pus m’empêcher de lui demander avec une vivacité qui l’avertit de conclure, pourquoi ma fille ne faisait pas sa première communion. — Madame, me dit-il alors, je vais vous satisfaire, bien que je dusse peut-être garder un secret que mademoiselle votre fille n’a cru devoir confier qu’à moi. Mais, malgré tous les