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d’exagérer l’illusion que son père au moins entretenait depuis qu’elle était sortie de son affreux sommeil. Mais ce calme apparent dura peu ; car bientôt l’agitation de son corps précéda celle de son esprit. Comme il arrive assez ordinairement dans ces occasions, elle recouvra entièrement l’usage de son intelligence, et après avoir rappelé à sa mère l’extase de bonheur où l’avait mise l’attouchement du corps de Dieu, elle l’assura que depuis quelques instants où elle se sentait beaucoup mieux, cet état de béatitude semblait se rétablir dans son âme. Elle pleurait de joie en le sentant revenir ; elle remerciait sa mère d’avoir contribué par ses soins à lui faire connaître une espèce de bonheur si parfait et si doux. Ces discours étaient fréquemment interrompus par d’assez longs silences pendant lesquels on devinait facilement, d’après l’expression de son visage et aux mouvements de ses lèvres, qu’elle adressait des prières au ciel.

Le comte de Soulanges profita d’un de ces intervalles de repos pour adresser à sa femme la requête du jeune de Lébis, qui, toujours dehors, attendait la permission d’entrer. Pour toute réponse, la comtesse fit, en baissant les yeux, un signe qui voulait dire qu’au point où en étaient arrivées les choses, les convenances du monde importaient assez peu, et que rien ne s’opposait à ce que l’on admît M. de Lébis. Seulement elle indiqua, toujours sans parler, une place retirée d’où il pourrait entendre, sans que sa présence cependant inquiétât la malade.

À peine Edmond fut-il entré, que la mère de Louise et lui sentirent les larmes rouler dans leurs yeux. Madame de Soulanges les déroba cependant à son enfant, mais au prix d’efforts plus douloureux que la douleur même.

Ceux qui ont fait la dure expérience de la vie savent comment les heures s’écoulent près d’un malade qui nous est cher et dont la vie est en danger. L’âme, incessamment poussée par l’inquiétude et les soucis, traverse d’un vol fatigant, mais rapide, ces longs espaces de temps où l’on n’a aucun soin à donner, où l’art du médecin, le zèle des serviteurs et la tendresse des parents se réduisent en patience courageuse, en résignation immobile et muette. C’est à cette