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de cette dame avait été d’autant plus grand, que personne, excepté peut-être M. de Lébis, ne se douta des souffrances intérieures qu’elle éprouvait. Poursuivie sans cesse par le souvenir de sa fille, ses devoirs d’épouse lui faisaient une loi de cacher ses chagrins à M. de Soulanges, pour qui des distractions, bien innocentes sans doute, mais incompatibles avec la douleur de sa femme, étaient devenues des besoins impérieux.

M. de Lébis l’assista à ses derniers moments. Ce fut même quelques jours avant sa mort qu’il lui fit part du projet qu’il avait conçu de prendre les ordres. Cette détermination, préparée avec tant de prudence et de maturité, toucha singulièrement la mère de Louise ; elle avait perdu depuis si longtemps l’usage de la joie, qu’elle eut un effort pénible à faire pour recevoir celle que lui causa cette résolution. Mais cette pieuse et tendre mère interpréta toute la pensée de celui qu’elle avait choisi pour son gendre, et après l’avoir béni, elle mourut contente en pensant qu’un cœur pur, qu’une âme tendre serait le tombeau vivant où elle pouvait déposer sûrement le souvenir de sa chère fille.

Après cet événement, M. de Soulanges, qui avait plus d’estime et d’admiration pour la conduite du jeune de Lébis, que de goût pour son caractère, vécut seul, et ne tarda même pas à retourner au château de Soulanges, qu’il préférait à ses autres propriétés.

Ces messieurs se séparèrent bien, sans trop de regret, pour dire la vérité, l’un et l’autre se disposant à embrasser le genre de vie qui lui convenait. Edmond de Lébis retourna à Rome, où, après s’être affermi de nouveau dans sa résolution, il se prépara à se détacher entièrement des choses mondaines. Pendant le temps qui précéda celui où il reçut les ordres, quelques voyageurs ont eu l’occasion de le voir. Sa physionomie noble et gracieuse avait une expression de tristesse que ses malheurs ne justifient que trop ; mais malgré l’austérité de sa vie habituelle, il fréquentait encore quelques salons, où, quoique rarement, il se faisait remarquer par une conversation élégante comme celle d’un homme du monde, et grave cependant comme l’exigeait son état futur. Depuis