Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ayez pitié de moi, puisque je vous dit tout !… Il y avait là des femmes qui m’ont tenté, des maris qui me gênaient… Maudites soient les inventions qui me sont venues !… Voyez-vous des machines qui poussent ceux-ci d’un côté, tandis qu’elles entraînent celles-là de l’autre ?… Et puis des cris, des injures, des malédictions sur moi… Oh ! quel enfer !… Et quand j’étais rentré dans ma caverne, je n’étais occupé que du soin de visiter et d’affermir ma machine, pas un moment de repos, toujours combinaison sur combinaison pour prévoir des obstacles. Aussi j’ai toujours été le plus fort, aussi ils m’ont pris en horreur… Oh ! c’était bien triste dans ma caverne, mais leurs cris m’y repoussaient toujours… Que d’efforts j’ai faits pour les empêcher de crier ! mais mon art m’a toujours trahi, je n’ai pu y parvenir.

Après un instant, de silence, Michel parut rassembler comme sur un point imperceptible toute la force de son attention, et il continua ainsi :

— Dans ma solitude, et pour me distraire, je copiai dans les dimensions les plus petites tout ce qui existait réellement en grand sur le lac, et par un mécanisme intermédiaire, je parvins à reproduire dans un petit monde que j’avais entre mes mains et sous mes yeux, la contre-épreuve de tout ce qui s’agitait sur une étendue immense. J’étais présent à tout ce qui se faisait ; j’entendais tout ce que l’on disait, tout ce que l’on disait de moi ! Oh ! si vous saviez ce qu’ils disaient de moi !… Bientôt je n’eus plus le courage de regarder mon petit monde. J’y voyais trop bien que le découragement et l’ennui s’étaient emparés de tous ceux qui habitaient le grand. Chaque jour je les voyais devenir plus maigres, plus jaunes, et pour ceux qui conservaient encore quelque vigueur, il n’en faisaient usage que pour me maudire, et chercher à briser les inévitables coulisses sur lesquelles je les faisais glisser. Ce fut alors que mon ouvrage m’effraya ; j’aurais voulu le changer… impossible !… Vous sentez la conséquence ? si j’avais détendu mes ressorts d’un seul cran, je n’étais plus maître de rien… Aussi je les resserrai au contraire, et je les resserrerai encore !

Michel vivement ému fut obligé de faire une pause ; mais