Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/563

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sonner. C’était l’instant où chaque soir j’étais obligé de renouveler la roue principale de la machine-mère. Arrêté par le bras, je regardai avec une anxiété croissante cette fatale roue qui, à mesure que ses dents s’usaient, laissait prendre à tous les autres rouages qu’elle devait régler une vitesse épouvantable ; je prévis alors l’horrible désordre qui allait éclater au milieu de toutes les machines flottantes ; je les voyais déjà, rapides comme l’éclair, sillonner l’eau sans direction précise et se ruant avec fracas l’une contre l’autre. Épouvanté, Thérèse ! M’écriai-je, Thérèse ! quitte ma main ! au nom du ciel ! quitte ma main ou tout est perdu ! Et je me débattis encore de manière à m’arracher les membres ; mais prières, efforts, tout fut vain ; Thérèse demeura immobile comme une tenaille. Alors je sentis qu’il ne restait plus d’espoir, et comme je jetais un dernier regard sur l’infernale roue devenue si mince, si mince que je ne pouvais plus la distinguer, il se fit un bruit de tonnerre épouvantable, puis au milieu d’une nuit profonde tout ce qui était dans la caverne fut lancé dans le lac… Je ne sais plus… je ne me souviens plus… Ah ! Soutenez-moi !

L’émotion de Michel pendant ce récit l’avait tellement épuisé, qu’en prononçant ces dernières paroles il se laissa tomber presque sans connaissance entre mes bras. Je fis signe au rameur de nous conduire à terre, où l’autre bateau ne tarda pas à nous rejoindre. Michel fut transporté chez lui, ou, à peine arrivé, il demanda à se mettre au lit. On le coucha ; un sommeil assez calme s’empara de lui, chose qui, disait-on, ne lui était pas arrivée depuis longtemps. Quand nous le vîmes tranquille, nous allâmes raconter ce qui venait d’avoir lieu, ainsi que l’occasion première de la maladie de Michel, à un médecin des eaux de Matlock, qui nous conseilla de faire partir cet homme au plus tôt pour Londres, afin qu’il se trouvât le plus promptement possible avec ses parents et au milieu de ses compatriotes, où il n’entendrait plus parler anglais.

— S’il y a chance de guérison pour lui, ajouta-t-il, c’est par l’effet de sa langue maternelle.

Je m’entendis aussitôt avec la respectable famille anglaise,