Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenu secret autrefois par réserve et par crainte. Ils riaient surtout des précautions sévères qu’ils s’étaient imposées, et, après s’être moqués d’eux-mêmes, ils mêlaient leurs sourires avec mille et mille baisers. Mais quand l’amour est vrai il porte avec lui quelque chose de grave ; et dans ces entretiens si doux, où l’on résume avec délices le bonheur, il est assez ordinaire toutefois que l’éclat du présent soit obscurci par les prévisions de l’avenir.

— Ô Dieu ! quand nous reverrons-nous ? demanda Ernest.

— Je ne sais, répondit-elle.

Et ils s’embrassèrent.

— Mais tu pleures, ma Justine ! qu’as-tu ?

— Oui, je pleure, et dans mes larmes il y a de la joie et du chagrin.

— De quoi t’affliges-tu ?

— Va ! ce n’est rien, et j’ai aussi mes enfantillages que tu dois pardonner. Je pense d’ailleurs qu’il faut bientôt nous quitter !

— Ô Dieu ! pas encore.

— Il le faut absolument, mon ami. S’il ne nous est plus permis d’invoquer la sagesse, du moins ne renonçons pas à la prudence.

— Justine ! Justine !

— Eh bien ! que veux-tu ?

— Hier, l’autre jour, je ne sais quand, tu m’as dit : Ce n’est pas tout... plus tard je te le dirai. Qu’est-ce ? oh ! parle, ma Justine ; dis-moi tout ce que tu as à me dire.

Et en s’exprimant ainsi, Ernest témoignait encore par ses caresses tout l’excès de son impatience ; mais mademoiselle de Liron fut quelque temps sans répondre à son amant, et, pendant ce silence, elle redoubla de caresses tendres et graves envers lui, comme pour le préparer à ce qu’il allait entendre.

— Parle donc, Justine, murmura tendrement Ernest, je t’en supplie !

— Eh bien ! écoute, dit-elle enfin en approchant les lèvres de l’oreille de son ami. Je t’aime, mon Ernest ; je t’aime autant qu’il est donné à une femme d’aimer ; Dieu, qui seul