Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/587

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour lui et pour elle. — Robert, dit-elle en raffermissant sa voix et après avoir essuyé ses yeux, l’heure qui vient de s’écouler a produit sur moi l’effet d’un siècle d’expérience. J’ai perdu ma jeunesse ; et le malheur où je suis tombée sans m’en douter, m’avertit que la première épreuve que j’ai à subir sera sans doute la plus dure de ma vie. Ne pleurez plus, remettez-vous ; tenez, regardez là-bas du côté du couvent, j’aperçois quelques religieuses qui s’avancent vers nous. Hâtez-vous d’aller à leur rencontre, et priez-les de venir à mon secours, car désormais je ne puis accepter le vôtre. Zénobie me l’a dit là-bas ; vous prierez Dieu qu’il me soit favorable : je n’oublierai pas les paroles de celle qui m’a parlé comme une mère... Pour vous, Robert, recevez mon adieu, je vous respecte comme mon... » Elle ne put achever ; un sanglot étouffa sa voix. Elle se couvrit aussitôt la tête, et dès qu’elle se fut agenouillée pour adresser une prière fervente à Dieu, elle attendit dans cette attitude que les sœurs de Sainte-Claire vinssent l’en arracher pour la reconduire au couvent.

Cependant Robert s’était éloigné. Après avoir marché longtemps dans la plaine, en suivant des directions différentes, au bruit lointain d’une cloche, il s’arrêta tout à coup, et, en se retournant, il aperçut la flèche de l’église de Sainte-Claire. Alors tous les souvenirs qui se rattachaient à Flavie assaillirent son âme à la fois, et il lui fallut faire un nouvel effort sur lui-même, pour fuir et perdre de vue ce clocher.

Enfin, après plusieurs jours d’une marche incertaine, irrégulière, il s’approcha de la ville qu’il habitait ordinairement. Du haut d’une colline qui la dominait, et en revoyant ce lieu, théâtre de toutes les vicissitudes de sa vie, il se répétait à lui-même, en reculant toujours l’instant d’y rentrer : « Le véritable enfer, c’est le monde ! »