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père, de sa mère et de son oncle, la jeta dans un abattement tel que, dans l’impossibilité où elle était de surmonter la fatigue et l’affliction qui l’accablaient, elle se laissa tomber à quelque distance de là sur les marches de l’église de Saint-Barthélemi, pour attendre la fin de sa vie et de ses souffrances.

C’est ainsi que Ginevra gisait étendue sous le portique, quand par la grâce de la sainte Vierge, elle vint a penser à son amant. Un rayon brilla encore dans son cœur, et lui fit naître la pensée d’éprouver si l’amour qu’Antonio lui avait témoigné avec tant d’ardeur et de constance était vraiment solide. Malgré ses douleurs et la fatigue qui lui permettait à peine de marcher, Ginevra, en s’appuyant le long des murs, se traîna jusqu’à la demeure d’Antonio et frappa à sa porte. Il était six heures.

À peine avait-elle laissé retomber le marteau, que son corps chancelant et glacé s’étendit sur le seuil. Antonio était si absorbé dans son chagrin, qu’il fut obligé de faire un effort sur lui-même pour se décider à aller voir qui heurtait ainsi pendant la nuit. Il ouvrit machinalement sa fenêtre, et prêta l’oreille à ce qui se passait dans la rue. D’une voix faible et que l’on pouvait à peine entendre, Ginevra dit : « C’est moi ! la malheureuse Ginevra ! pour l’amour de Jésus, portez secours à une infortunée rejetée de tout le monde ! » Bien que ces paroles fussent prononcées par une voix si éteinte, qu’il était presque impossible de les distinguer, cependant Antonio prit un flambeau, descendit précipitamment, et sans s’inquiéter de l’idée que quelque esprit pourrait se présenter pour lui nuire, il ouvrit la porte, et reconnut celle qu’il aimait. « C’est elle, » dit-il ; et aussitôt il appelle une servante. Sa lumière posée à terre, il soulève le corps immobile de Ginevra dans ses bras. À ce moment, survient Ta servante, qui prend le flambeau et éclaire, tandis que son maître porte son précieux fardeau dans la chambre la plus voisine. Le corps de Ginevra était froid comme la glace. Antonio ordonna aux femmes de faire chauffer du linge, d’enlever les vêtements humides qui la couvraient, et sitôt qu’elle fut enveloppée dans un drap chaud, d’un bras vigoureux il l’en-