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sents, qu’une multitude de monde forma un cercle immense autour de la mère et de sa fille, en sorte que Ginevra ne put continuer sa marche. Le nombre des curieux croissait incessamment, quand Francesco des Agolanti, à qui on avait déjà dit quelques mots de l’événement étrange qui mettait toute la ville en rumeur, perça la foule et reconnut en effet sa femme, qu’il avait enterrée plusieurs jours auparavant. S’étant approché d’elle, il lui demanda d’où elle venait, et par qui elle avait été retirée du tombeau. Au même instant parut Antonio, qui, dans l’inquiétude de ne pas voir arriver sa fiancée, avait quitté l’église pour venir au-devant d’elle. Ginevra, après avoir jeté un coup d’œil sur lui, tourna son regard vers Francesco, et lui dit d’un ton calme, mais ferme : « Ce n’est pas vous qui m’avez retirée du tombeau, car c’est vous au contraire qui m’y avez enfermée toute vivante. Mais tout cela s’est fait par la volonté de l’éternel Jésus. Mon cher Antonio, que vous voyez ici présent, en portera témoignage. J’étais morte, et par votre faute. Je me suis présentée à votre maison, et vous m’avez chassée, vous devez vous en souvenir. Laissez-moi donc aller librement, car j’ai résolu de ne jamais rentrer sous votre toit. »

La mère de Ginevra se mit à pleurer auprès des deux maris, dont l’un, Antonio, paraissait décidé à défendre vigoureusement ses nouveaux droits, tandis que l’autre, interdit, triste, abattu, repassait douloureusement dans sa mémoire la double erreur qui le privait de sa femme. « Antonio, dit enfin Francesco avec l’accent de la douleur, par quelle raison veux-tu me ravir ma femme ? — Je serai bref, reprit Antonio ; tu le sais, je ne t’ai jamais fait tort, et pour rien au monde je ne voudrais t’en avoir fait. Sache donc bien que si Ginevra est aujourd’hui ma fiancée, ma mère ne l’a pas quittée un seul instant du jour et de la nuit depuis qu’elle est entrée dans ma maison ; mais je te déclare que ce soir j’en fais ma femme. Que tu aies à te plaindre d’elle, je te laisse à juger cette question ; quant à moi, je n’ai rien à me reprocher, et je ne suis coupable d’aucune trahison envois toi. — Soit, s’écria Francesco ; mais je vais à l’instant citer Ginevra devant l’archevêque, c’est là que se décidera la question. »