Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

échapper à un grand danger. Après un assez long silence, ils se donnèrent la main. Tout en parlant presque bas et lentement, mademoiselle de Liron dit à Ernest :

— Ah ! mon ami, crois-moi, il faut laisser venir le bonheur de lui-même : on ne le fait pas. As-tu jamais essayé, dans ton enfance, de replacer ton pied précisément dans l’empreinte qu’il venait de laisser sur la terre ? On n’y saurait parvenir ; on écorne toujours les bords !... Va ! nous sommes bien heureux ! Peu s’en est fallu que nous ne gâtions aujourd’hui notre admirable bonheur de l’année dernière ! Crois-moi donc, conservons notre 23 juin intact : c’est le destin qui l’a arrangé, c’est Dieu qui l’a voulu. Aussi son souvenir ne nous donne-t-il que de la joie.

À peine mademoiselle de Liron eut-elle achevé ces paroles que son cousin alla s’asseoir auprès d’elle sur la chaise longue, et ils se donnèrent un baiser de paix qui scella en quelque sorte le pacte de sagesse qu’ils venaient de faire entre eux.

On éprouve toujours une joie ineffable quand on a été victorieux de soi-même. Nos deux chastes amants en ressentirent une si profonde, que l’émotion qui en résulta les plongea dans un silence qui dura près d’un quart d’heure. C’était un bonheur nouveau qui leur descendait dans le cœur. Aussi leur âme encore toute étonnée s’essayait-elle dans le silence à en savourer la douceur.

— Je l’avais toujours pensé, dit enfin mademoiselle de Liron en tenant une main d’Ernest, et comme si elle se fût parlé à elle-même, rien n’est si doux, non rien n’est si fort que l’amour ! Ce qu’il fait ne peut s’imaginer ; il vient à bout d’une infinité de choses ; l’amour est capable de tout. Oh ! il n’y a que ceux qui n’aiment pas qui perdent courage et se laissent abattre. Ernest pressa la main de sa cousine en signe d’admiration lorsqu’elle eut achevé ces paroles.

— Oh ! certainement, continua-t-elle en serrant à son tour la main de son ami, tu entends ce langage, toi, tu sais vraiment aimer.

Après une pause de quelques minutes, mademoiselle de Liron, se remettant droite sur son séant, remua la tête et se frotta les yeux comme quelqu’un qui ne veut pas se laisser