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Vous n’avez pas l’intention d’abandonner la carrière que vous avez entreprise ?

— Eh ! mais si elle était un obstacle à notre mariage ?

— Comment ! serait-ce sérieusement que vous auriez manifesté, il y a deux ou trois jours, le dessein de vous faire fermier de nos biens, de vous résoudre à n’être qu’un paysan ? Ah ! mon ami, je n’ai pas été à Rome et je ne suis pas diplomate, mais je vous préviens que si vous êtes décidé à vous laisser aller à de telles rêveries sentimentales, je n’y prêterai pas les mains. Vous n’avez pas voulu me croire il y a un an et vous êtes encore incrédule aujourd’hui ; mais je vous le redirai toujours : il n’y a rien de si difficile à bien arranger qu’un mariage entre nous deux.

— Mais pourquoi donc ?

— Je vais vous le faire savoir. Avant tout, il serait bon, mon ami, d’enlever les traces de notre repas, afin que nous pussions causer les coudes sur la table... Bien... merci... Pourquoi ? demandiez-vous, continua mademoiselle de Liron. D’abord à cause de la différence de nos âges.

— Toujours la même raison !

— Eh mais, mon ami, c’est qu’elle est grave.

— C’est vous qui le dites, car pour moi elle est nulle.

— Nulle ? vous avez vingt ans, Ernest ; j’en ai vingt-quatre. Avez-vous pensé aux dix années que nous avons à parcourir à partir de ce moment ? Avez-vous réfléchi que, pendant le cours de chacune d’elles, vous ne pouvez que gagner pour arriver à un âge où vous aurez encore à vous perfectionner, tandis que moi, femme, je ne puis plus que perdre ?

— Quelle exagération, Justine !

— C’est la vérité. À ce sujet, les femmes ne sont pas toujours franches, mais elles ne s’abusent jamais. Et tenez, mon ami, il n’y a qu’un an que nous sommes séparés, cependant ma santé est déjà altérée ; dès le jour de votre arrivée, j’ai lu dans vos yeux que je ne suis plus ce que j’étais l’année précédente. Chez vous, au contraire, votre extérieur, votre esprit, votre jugement, tout s’est perfectionné, et vous n’êtes encore qu’un jeune homme qui donnez des espérances !