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Comme la qualité de confesseur, la profession de médecin est quelquefois très-délicate. Il n’était pas échoppé à la sagacité de M. Tilorier que le pouls de mademoiselle de Liron avait été habituellement beaucoup plus agité du moment que son cousin était arrivé à Chamaillères, et il avait observé que le mal avait fait des progrès rapides depuis cet instant. La parenté d’Ernest avec mademoiselle Justine, la différence de leurs âges, laissaient bien quelques incertitudes dans l’esprit du docteur ; mais d’un autre côté, lorsqu’il avait l’occasion de les voir ensemble, il lui était bien difficile de douter qu’ils s’aimassent.

Or, c’est en agitant cette question que la science et même la conscience du pauvre docteur étaient toutes troublées. Ce bon, ce timide M. Tilorier, sans aucun projet, sans nul espoir, adorait mademoiselle de Liron du fond de son âme. Il aurait vécu mille ans auprès d’elle, qu’elle ne s’en serait pent-être jamais aperçue, et elle était à son égard comme le soleil qui échauffe et vivifie la terre, par cela seul que ses rayons frappent dessus. Mais enfin il l’aimait passionnément, et bien que la modestie ne lui permît pas de contester les droits qu’Ernest lui paraissait avoir, il n’en ressentait qu’avec plus de force cette jalousie sourde, intérieure, qui dispose celui qui l’éprouve à se juger défavorablement, et à se défier de tout ce qu’il pourra faire ou dire.

M. Tilorier se trouvait donc dans un embarras cruel. En sa qualité de médecin, il aurait désiré savoir au juste le degré de liaison qui pouvait exister entre Ernest et sa cousine, et comme amant, si timide et si résigné qu’il fût, il redoutait d’apprendre ce qu’il n’aurait jamais voulu savoir. Mais enfin le mal croissait tellement, et les accidents fâcheux se multipliaient à tel point, que le médecin l’emporta sur l’amant, et M. Tilorier se décida à parler à Ernest, qu’il rencontra seul dans le jardin.

— Monsieur, lui dit-il en l’abordant avec sa discrétion habituelle (ce qui ne laissa pas d’éveiller à l’instant même l’attention d’Ernest), l’état où se trouve à présent monsieur votre oncle ne me permettant pas de m’adresser à lui dans le cas qui se présente, vous me permettrez sans doute d’avoir recours à vous ?