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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

vague de l’esquisse, il se montre davantage dans sa personnalité, en dévoilant ainsi toute la portée, mais aussi les bornes de son talent.

Jeudi 21 avril. — à la vente de Decamps[1]… J’ai éprouvé une profonde impression à la vue de plusieurs ouvrages ou ébauches de lui qui m’ont donné de son talent une opinion supérieure à celle que j’avais. Le dessin du Christ dans le prétoire, le Job, la petite Pêche miraculeuse, des paysages, etc. Quand on prend une plume pour décrire des objets aussi expressifs, on sent nettement, à l’impuissance d’en donner une idée de cette manière, les limites qui forment le domaine des arts entre eux. C’est une espèce de mauvaise humeur contre soi-même de ne pouvoir fixer ses souvenirs, lesquels pourtant sont aussi vivaces dans l’esprit après cette imparfaite description que l’on fait à l’aide des mots. Je n’en dirai donc pas davantage, sinon qu’à cette exposition, comme le soir au concert de Delsarte, j’ai éprouvé, pour la millième fois, qu’il faut, dans les arts, se contenter, dans les ouvrages même les meilleurs, de quelques lueurs, qui sont les moments où l’artiste a été inspiré.

Le Josué, de Decamps, m’a déplu au premier

  1. L’exposition dont parle ici Delacroix précéda une vente de trente et un tableaux et dessins, faite par l’auteur personnellement, et qui produisit environ 75,000 francs. Le Josué fut vendu 8,500 francs, le Job, 7,020 francs. (Voir Théoph. Silvestre, Artistes vivants.)