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LE PAIN BLANC

Ce n’était pas si difficile à comprendre.

Héroïque, Élysée tourna les pages :

Mes chers ami, quand je mourrai…

Certes, cela ne ressemblait pas aux fables de La Fontaine !

Les sourcils froncés, elle lisait, et le charme pénétrait en elle, énigmatique, et plus grisant d’être si obscur ; car une élégie romantique est presque inintelligible pour une petite fille de dix ans.

Cependant, le passage sur la musique :

Fille de la douleur, harmonie, harmonie…


fit battre son cœur, cette petite prune verte. Elle le relut plusieurs fois. Trois vers étaient, pour elle, absolument directs ouvrant tout à coup les portes de l’infini :

Qui sait ce qu’un enfant peut entendre et peut dire.
Dans tes soupirs divins, nés de l’air qu’il respire,
Tristes comme son cœur et doux comme sa voix ?

Toute seule dans son fauteuil trop grand, penchée sur son livre trop gros, elle ignorait que, dans ce cabinet de travail abandonné, silencieux, un grand mystère avait lieu, le mystère de son initiation à la poésie.

Elle revint à sa première gravure et commença de lire La Nuit de Mai.

Mais quand ses yeux tombèrent sur ceci :

Qui vient ? Qui m’appelle ? — Personne.
Je suis seul, c’est l’heure qui sonne ;
Ô solitude ! Ô pauvreté !


la misérable gamine, prématurément frappée par l’existence, sentit les larmes lui brouiller la vue.