Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/24

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plantes, s’élance, l’embrasse en fondant en larmes, et, par une douce illusion de la sensibilité, se croit un moment transporté dans sa patrie.

D’ailleurs il est deux espèces de sensibilité. L’une nous attendrit sur les malheurs de nos égaux, puise son intérêt dans les rapports du sang, de l’amitié ou de l’amour, et peint les plaisirs ou les peines des grandes passions qui font ou le bonheur ou le malheur des hommes. Voilà la seule sensibilité que veulent reconnoître plusieurs écrivains. Il en est une beaucoup plus rare et non moins précieuse. C’est celle qui se répand, comme la vie, sur toutes les parties d’un ouvrage : qui doit rendre intéressantes les choses les plus étrangères à l’homme : qui nous intéresse au destin, au bonheur, à la mort d’un animal, et même d’une plante ; aux lieux que l’on a habités, ou l’on a été élevé, qui ont été témoins de nos peines ou de nos plaisirs ; à l’aspect mélancolique des ruines. C’est elle qui inspiroit Virgile lorsque, dans la description d’une peste qui moissonnoit tous les animaux, il nous attendrit presque également, et sur le taureau qui pleure la mort de son frère et de