Page:Delille - L Homme des champs 1800.djvu/49

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Il court, roule, s’abat : le nombre a prononcé.
Plus loin, dans ses calculs gravement enfoncé,
Un couple sérieux qu’avec fureur possède
L’amour du jeu rêveur qu’inventa Palamède,
Sur des carrés égaux, différens de couleur,
Combattant sans danger, mais non pas sans chaleur,
Par cent détours savans conduit à la victoire
Ses bataillons d’ébène et ses soldats d’ivoire.
Long-temps des camps rivaux le succès est égal :
Enfin l’heureux vainqueur donne l’échec fatal,
Se lève, et du vaincu proclame la défaite.
L’autre reste atterré dans sa douleur muette,
Et, du terrible mat à regret convaincu,
Regarde encor long-temps le coup qui l’a vaincu.
Ailleurs c’est le piquet des graves douairières,
Le lotto du grand-oncle, et le wisk des grand-pères.
Là, sur un tapis vert, un essaim étourdi
Pousse contre l’ivoire un ivoire arrondi ;
La blouse le reçoit. Mais l’heure de la table
Désarme les joueurs ; un flacon délectable
Verse avec son nectar les aimables propos,
Et, comme son bouchon, fait partir les bons mots.
On se lève, on reprend sa lecture ordinaire,
On relit tout Racine, on choisit dans Voltaire.
Tantôt un bon roman charme le coin du feu :
Hélas ! Et quelquefois un bel esprit du lieu