Page:Delphine de Girardin - Poésies complètes - 1856.djvu/226

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Hier il m’apparut, triste, silencieux ;
La langueur se peignait sur ses traits gracieux ;
Moi, sans plaindre sa peine et d’espoir animée,
En le voyant souffrir je me sentais aimée…
Il ne l’avait pas dit… Non… mais je le savais,
Et bientôt j’oubliai… (ma mère, je rêvais !…)
J’oubliai de cacher le trouble de mon âme ;
Il le vit ; et ses yeux, pleins d’une douce flamme,
Pour m’en récompenser l’excitaient tendrement,
Et mon cœur se perdait dans cet enchantement.
Toi-même en souriant contemplais mon supplice
D’un regard à la fois maternel et complice.
Dieu ! que j’étais heureuse ! et pourtant… je pleurais !
Et ce bonheur parut redoubler tes regrets :
Celui que nous pleurons manquait à notre joie,
Car je n’espère plus qu’un rêve nous l’envoie ;
Un rêve peut créer le plus doux avenir,
Mais il n’enlève pas le poids d’un souvenir ;
Quand la source des pleurs ne peut être tarie
La plus puissante joie est d’avance flétrie.

Mon songe est effacé… Je suis seule ; dis-moi,
Celui qui doit me plaire est-il connu de toi ?
Viendra-t-il, devinant le rêve qu’il m’inspire,
Sur un cœur qui l’attend réclamer son empire ?
À ma jeunesse enfin servira-t-il d’appui ?
Ah ! si le Ciel un jour devait m’unir à lui !…
Mais non, éloignez-vous, séduisante chimère ;
En troublant mon repos vous offensez ma mère ;
Tant qu’elle m’aimera, qu’aurai-je à désirer ?
Rien… un si grand bonheur me défend d’espérer !


Paris, 1823.