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XII

Sœur Philomène.

« Dimanche, 5 février (1860). — Déjeuner chez Flaubert. Bouilhet nous conte cette tendre histoire sur une sœur de l’hôpital de Rouen, où il était interne. Il avait un ami, interne comme lui, et dont cette sœur était amoureuse, platoniquement, croit-il. Son ami se pend. Les sœurs de l’hôpital étaient cloîtrées et ne descendaient dans la cour de l’hôpital que le jour du Saint-Sacrement. Bouilhet était en train de veiller son ami, quand il voit la sœur entrer, s’agenouiller au pied du lit, dire une prière qui dura un grand quart d’heure — et, tout cela, sans faire plus d’attention à lui que s’il n’était pas là.

« Lorsque la sœur se relevait, Bouilhet lui mettait dans la main une mèche de cheveux, coupée pour la mère du mort, et qu’elle prenait sans un merci, sans une parole. Et depuis, pendant des années qu’ils se trouvèrent encore en contact, elle ne lui parla jamais de ce qui s’était passé entre eux, mais, en toute occasion, se montra pour lui d’une extrême serviabilité. »

Tel a été l’embryon de Sœur Philomène. Les auteurs ont livré eux-mêmes, dans ces quelques lignes du Journal, l’anecdote qui s’était puissamment emparée de leur esprit et qui, bientôt, s’imposait à eux comme une obsession. Et, pour construire leur livre, les voilà, chaque matin, dans l’atmosphère viciée des longues