Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/188

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ses fureurs et ses violences de peau-rouge. Il était, avec Théophile Gautier, le protagoniste des paradoxes ; mais le poète émettait les siens d’une voix dolente et douce ; Flaubert, au contraire, moins original et de moindre envergure, hurlait ses outrances d’une voix puissante et faisait trembler la vaisselle sous ses grands gestes. En dehors du dîner, presque tous les convives se retrouvaient chez lui une fois par semaine et le Journal a fixé le caractère de ces réunions :

« Dimanche,mai (1862). Ces dimanches passés au boulevard du Temple, chez Flaubert, sauvent de l’ennui du dimanche. Ce sont des causeries qui sautent de sommets en sommets, remontent aux origines des mondes, fouillent les religions, passent en revue les idées et les hommes, vont des légendes orientales au lyrisme d’Hugo, de Boudha à Gœthe. On se perd dans les horizons du passé, on rêve aux choses ensevelies, on pense tout haut, on feuillette du souvenir les vieux chefs-d’œuvre, on retrouve et on retire de sa mémoire des citations, des fragments, des morceaux de poèmes, pareils à des membres de dieux sortant d’une fouille dans l’Attique. Puis, de là, à un moment, on descend aux mystères des sens, à l’inconnu des goûts bizarres, des tempéraments monstrueux. Les fantaisies, les perversions, les toquades, les démences de l’amour charnel sont étudiées, creusées, analysées, spécifiées. On philosophe sur de Sade, on théorise sur Tardieu. L’amour est couché sur une table d’amphithéâtre. »

Mais ces vêpres littéraires furent interrompues quand des préoccupations de fortune retinrent Flaubert à Croisset. Il répondait à des souhaits de bonne année que lui avait envoyés, le 1er janvier 1879, M. Edmond de Goncourt :