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nages aient jamais regardé les étoiles ou écouté chanter un oiseau. Mais « On s’ennuie de tout, mon ange ! » comme dit cette scélérate de Merteuil et vous me paraissez déjà fatigués de vos Géorgiques. Moi, je suis fatigué de rouler ce caillou que vous appelez un rocher. Il est dur de vaquer, chaque semaine, à des élucubrations sur Polichinelle. C’est un triste métier que celui d’analyser des ordures et de philosopher sur des coq-à-l’âne. En vérité, il est tel feuilleton que je voudrais et que je devrais signer Jocrisse, si j’avais du cœur. Mais la nécessité explique tout. Diderot a fait dix-huit sermons et je ne suis pas Diderot.

Vous me demandez des nouvelles de l’Olympe. J’apprends toujours sa théologie pour arriver à sa poésie et je vous assure que la tâche est rude. Ces diables de Dieux, si précis et si définis par le marbre, s’évaporent en formes fuyantes, quand on les poursuit dans la fable… J’écris peu, d’ailleurs, en ce moment-ci. La verve, l’estro ne souffle pas sur ma tête. J’absorbe des quantités de lectures et j’en ai le cerveau aussi gonflé qu’une éponge. Un livre attire l’autre. Je ne sais quand je sortirai de ce labyrinthe.

Rien de nouveau, sinon le tapage que fait, à Palerme, Garibaldi que le Parisien, né malin, n’appelle plus que Garibaldoche. L’homme aux brandebourgs apprend à danser à son petit ourson pour le faire trouver gentil par les dames. En style familier, il surveille les répétitions de son drame. Claudin me manque. Cette brillante étoile de ma constellation a filé vers Bade. Il y panache à la roulette et fait rouler l’or et les métaphores sur le tapis vert…

Certes, je pense à notre voyage et j’en rêve, et je compte les jours. Revoir Dresde avec vous, ce sera le voir pour la première fois. Revenez donc le plus tôt possible pour rapprocher le départ. Nous partirons, si cela vous va, du 15 juillet au 1er août. Je me fais une joie de ce tour d’Allemagne en si amicale et si sympathique compagnie. Que de causeries et de flâneries ! Quelles parties fines de peintures ! À bientôt, n’est-ce pas ?

Vous avez oublié de me dire l’époque de votre retour. Vous voyez bien qu’il me faut encore une lettre. Transmettez-moi les apophtegmes de votre Prudhomme[1]. D’après le mot que vous me citez, il est d’une qualité supérieure. C’est le chou colossal. Récoltez-en la graine. Je vous vois d’ici tirer les fils de ce

  1. « Quant au type même de Prudhomme, je vous ai déjà dit, je crois, que nous avons le bonheur d’en jouir. C’est un homme qui est venu au monde avec des lunettes d’or : sa mère avait eu un regard d’opticien. Son dernier mot, tout chaud. En parlant d’une lettre brûlée il a dit : “je l’ai vouée à Vulcain !” » Lettres de Jules de Goncourt, p. 155.