Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/241

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mais, partout, on sent la vie sous la fable, et c’est bien là, — comme l’auteur l’a dit dans sa préface, — « une tentative dans une réalité poétique. »[1]

Au reste, les clowns, ces créatures falotes et contrastées qui reflètent bien le génie britannique, froid et sépulcral, que Dickens a tant aimés et si souvent décrits, étaient bien faits pour séduire un esprit d’artiste. La complexité maladive de leur type, le côté plastique de leur conception avaient encore, il y a quelques années, à Paris, un interprète surprenant dans ce spleenétique Botwell qui mourut d’apoplexie, en pleine représentation, sur la piste, et qui parfois, au milieu de ses exercices, cédant à une fantaisie macabre, se drapait dans quelque oripeau et, imposant le caractère tragique à son masque blanchi pour le rire, parcourait le cirque en déclamant, d’une voix criarde et rauque, les vers les plus effrayants de Shakspeare.

Th. Gautier avait pour lui une admiration enthousiaste qu’il a manifestée mainte fois et M. Barbey d’Aurevilly l’avait en vue, sans doute, quand il a écrit sur les Frères Zemganno ce morceau exquis qui fait du clown un initiateur de l’homme de lettres : « J’ai toujours été un grand hanteur de cirques, un amateur de ces spectacles physiques qui ne me donnent pas qu’un plaisir des sens, quoiqu’il y soit aussi, mais un plaisir intellectuel bien autrement profond et raffiné. Si, nous autres écrivains, nous pouvions écrire comme ces gens-là se meuvent, si nous avions, dans le style, les inépuisables ressources de leur

  1. La Chambre-tempête et quelques autres fantaisies de l’écuyère américaine éparses dans le livre, ont été empruntées à Louis II, roi de Bavière, le wagnériste fou, noyé en 1886. Il régnait alors et persécutait sans relâche M. de Goncourt pour qu’il laissât copier, pour lui, sa collection de dessins.