Page:Delzant - Les Goncourt, 1889.djvu/245

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une pointe de graveur. Que de volonté dans ce regard, que de douleur dans ce sourire ! Et, tandis qu’on rit et qu’on cause, tandis que Goncourt ouvre ses tiroirs, range ses papiers, s’interrompant pour montrer une brochure curieuse, un bibelot venu de loin, un autographe trouvé d’hier ; tandis que chacun s’assied et s’installe, une émotion me prend à regarder la table large et longue, la table fraternelle faite pour deux et où la mort, un jour, est venue s’asseoir, elle troisième, enlevant le plus jeune des deux frères et coupant court brutalement à cette unique collaboration. »

Et, en même temps que paraissait cet article, M. A. Daudet écrivait à son ami :

Je viens de vous finir seulement, car je n’ai eu le livre qu’en seconde main, dans une tourbillonnante fin de semaine. J’ai retrouvé, à la même place, mes picotements d’yeux, mes battements de cœur de la première lecture, toute la grande émotion des pages symboliques du livre. Fortement empoigné aussi par la mise en scène du tour et la catastrophe ; c’est aussi dramatique que possible. Mais ce que je ne connaissais pas, ce qui me chante par-dessus tout, c’est le roulement, le train de vie de la Maringotte, les horizons toujours changeants à la curiosité de ses lucarnes, et le petit air de Bohème que grincent les essieux de ses roues. C’est ce que vous appelez si justement le sentiment bohémien et que vous avez admirablement rendu, comme personne. Je ne sors plus de votre Maringotte ; j’y mange, j’y rêve, de la tête aux pieds. Me voilà pris d’un prurigo d’escampette. « Andare ! andare ! » je n’ai plus que ça dans l’idée, et c’est vous qui l’y avez mis avec votre sacré beau bouquin.

Je ne vais pas vous féliciter, n’est-ce pas ? Vous savez si nous vous aimons et la joie que nous fait votre succès. Il est très grand.

S’il fait beau mercredi, nous comptons, votre dédicace et moi, aller vous dire bonjour et bravo dans l’après-midi.

Adieu, mon grand.
Alphonse Daudet.

Et Mme Alphonse Daudet, qui signait Karl Stenn,