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M. Taine, ont singulièrement amoindri la liberté morale, le relief de l’individu en le replongeant dans son époque, dans sa caste, dans la collectivité où il est non pas une exception mais simplement la partie d’un tout et le comparse d’une action commune.

Les écrivains naturalistes se sont victorieusement emparés de ces découvertes philosophiques, et, abandonnant les héros des poèmes et les antithèses habillées des drames romantiques, ils ont voulu produire des figures qu’il ne fût plus possible d’isoler de leurs entours et de placer presque indifféremment sur n’importe quel échelon de l’histoire ou n’importe quels degrés de la sphère terrestre. Mais cette étude exige une information si vaste, un examen si exact et si détaillé de documents de tout ordre qu’il y faut tout le sérieux et toutes les aises du développement comporté par le livre et qu’il est difficile, sur le théâtre, avec ses ramassis d’actions, ses concentrations d’idées et de lumière, de poser et de déduire des personnages avec une rigueur scientifique.[1]

On sait la différence qui sépare l’écrivain d’invention dont le type paraît être George Sand dans le roman, des artistes qui se réclament de l’école naturaliste. George Sand créait dans sa tête un personnage autour duquel elle imaginait, avec une fertilité de combinaisons souvent admirable, des intrigues et des situations suffisamment vraisemblables, mais qui laissaient le relief et la conduite des événements à son principal acteur. Il était le soliste de l’œuvre. Les écrivains naturalistes procèdent d’autre sorte. Une fois l’idée conçue,

  1. Voir, à ce sujet, la Critique scientifique de E. Hennequin, ouvrage tout plein de broussailles mais très neuf en certaines parties et qui fait vivement regretter la perte de son auteur, mort noyé, il y a quelques mois, à vingt-neuf ans.