Page:Denikine - La décomposition de l'armée et du pouvoir, 1922.djvu/139

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par la démocratie révolutionnaire : à l’emprunt forcé ou à un impôt sur les revenus très élevé et payable en une seule fois, moyen qui avait un certain arrière-goût bolcheviste. Tous ces impôts, parfaitement justes, réalisés ou seulement projetés, ne pouvaient, malgré tous les efforts, satisfaire dans aucune mesure les nécessités sans cesse croissantes. Au commencement d’août, le ministère de Bernatzky ([1]) se vit obligé d’augmenter la part des contributions indirectes et d’introduire certains monopoles (du thé, du sucre, des allumettes), toutes mesures qui faisaient retomber le poids des contributions sur les masses de la population et qui, par conséquent, étaient fort mal accueillies.

Cependant les dépenses augmentaient indéfiniment et les revenus n’affluaient point. L’ « emprunt de la liberté » n’allait pas très bien et l’on ne pouvait compter sur des emprunts étrangers en raison de l’état où se trouvaient les fonds russes. Les opérations de crédit (emprunts intérieurs et extérieurs, obligations du Trésor à brève échéance) avaient donné, dans la première moitié de 1917, 9 milliards et demi et on ne prévoyait que 5.800 millions de revenus ordinaires. Il ne restait qu’un seul moyen consacré par la tradition de toutes les époques révolutionnaires : la presse à billets de banque.

L’émission de papier-monnaie atteignit des proportions exceptionnelles :

La deuxième moitié de 1914 : 1.425 millions de roubles 1915 : 2.612 1916 : 3.488 La première moitié de 1917 : 3.990

Au 1er juillet 1917, il y avait en circulation 13.916 millions de roubles-papier (en regard d’une garantie de 1.293 millions de roubles or). Avant la guerre, la circulation des billets atteignait 2 milliards.

Les quatre Ministres qui se succédèrent aux Finances ([2]) ne purent rien faire pour sortir le pays de cette impasse. Car il fallait pour cela soit que l’ensemble du peuple se rendît compte des besoins de l’État, soit qu’il y eût un pouvoir assez éclairé et puissant pour porter un coup décisif à toutes les aspirations néfastes, anti-étatiques et égoïstes, qu’elles vinssent de cette partie de la bourgeoisie, qui fondait sa prospérité sur la guerre et sur le sang du peuple, ou de la démocratie, qui, pour parier comme Chingarev, « après avoir, par la voix de ses représentants à la Douma, sévèrement condamné le poison de l’assignat, se mit, au moment où elle était presque devenue maîtresse de ses destinées, à boire à pleines coupes ce même poison ».

  1. Le chef fictif du Ministère était Nekrassov, mais, en fait, c’était Bernatzky qui le gérait.
  2. Terestchenko, Chingarev, Nekrassov, Bernatzky.